Roger Schall, de jour comme de nuit
À la Galerie DUREV “Ombre & Lumière” dévoile une cinquantaine de clichés, dont une majorité d’inédits de Roger Schall, photographe de l’entre-deux-guerres. Sélectionnées par Cécile Schall, pour leur composition et le traitement des thèmes qu’affectionnait son grand-père, ces œuvres témoignent d’une grande modernité et confirment son rôle précurseur dans le courant humaniste, mais pas seulement. À voir, dans le cadre de Photo Days.
Cécile Schall a créé Schall Collection, qui vise à faire découvrir les talents sous-estimés de son grand-père : « Un projet qui me tient à cœur depuis près de vingt ans », confie-t-elle. Bien avant qu’elle ne se consacre à l’émergence, avec fotofever qu’elle a fondé (lire notre article), elle s’est jetée à corps perdu dans les archives, un fond inestimable heureusement resté dans la famille. Cette œuvre, qui s’étend jusque dans les années 1970, compte plus de 80.000 photographies. Après la conservation : la diffusion.
“Aujourd’hui, l’image est partout mais elle ne dit plus rien. Près de 100 millions de photos sont postées chaque jour sur Instagram”, explique Cécile Schall. “Nos rétines sont saturées. Saturées de filtres, de couleurs artificielles, d’images retouchées et détournées. Les images de Roger Schall offrent une respiration nécessaire au milieu de ce bruit assourdissant. Tout y est pur, vrai. Chaque instant est unique. Ces photographies nous sortent de l’ombre et nous tirent vers la lumière”.
Plus qu’une simple collection, c’est un hommage à cet ancêtre qui a déterminé sa vocation. Avec son fils Lucas et son père Jean-Frédéric, elle mène un nécessaire travail de réhabilitation. En effet, Roger Schall (1904-1995) a marqué l’histoire. D’ailleurs, il fait aujourd’hui partie des plus grandes collections (BnF, Musée Carnavalet, Centre Pompidou, Collection Pinault).
Un pionnier
La photo, Roger l’a apprise avec son père, Émile Schall (déjà photographe au 19e siècle). Il consacre toutes ses économies à l’acquisition de son premier Leica, un appareil révolutionnaire avec son nouveau format 24×36 et la liberté de mouvement qu’il permet. Il avait 25 ans. Après avoir parcouru la France et rapporté plus de 5 000 clichés, il crée, avec son frère Raymond, le Studio Schall (Montmartre, 1931), qui a fonctionné comme une agence, diffusant des images dans de nombreux magazines jusqu’à l’étranger.
Contemporain de Cartier-Bresson, Brassaï, Man Ray, Roger Schall a excellé, tant dans le photoreportage, dont il fut l’un des pionniers, que dans la mode ou le portrait, notamment de peoples. Devenant reporter international, son travail s’inscrit dans la révolution médiatique de la presse illustrée.
Une œuvre foisonnante
On compte de nombreuses publications avec 150 couvertures et 10 000 photos, de l’Europe aux États-Unis (Vu, Vogue, L’Illustration, Paris Match, Life…). Dès les années 1940, ses clichés apparaissaient aux côtés de ceux de Robert Doisneau, Jean Seeberger, Pierre Jahan, dans plusieurs ouvrages qui officient en tant que manifestes humanistes.
Parmi les expositions importantes, on relève celle consacrée par le Festival international du photojournalisme Visa pour l’Image (Perpignan), en 2004, ou encore sa première rétrospective, en 2005, à Paris, suivie de celle au Festival Planches Contact de Deauville, en 2018. De nombreuses autres seront organisées en galerie, notamment par Cécile Schall, qui l’expose même à fotofever à trois reprises, lui offrant ainsi une formidable visibilité.
Roger Schall a aussi participé à moult projets collectifs. Ainsi, pour la première exposition proposée par Schall Collection, Ombre & Lumière, l’affiche choisie reprend la photo de Matisse dans sa volière publiée dans Vogue US en 1938, actuellement exposée à Chronorama au Palazzo Grassi.
Surtout connu pour ses photographies de Paris sous l’Occupation, Roger Schall s’illustre pourtant aussi dans la photo d’art. Ces années sont effectivement une période charnière pour ce média, qui passe du stade de simple document pour accéder à celui de création. Et le travail de Roger Schall fait œuvre. Bien que passant d’un genre à l’autre, son regard est tout à fait personnel.
Un grand artiste
S’adaptant à merveille au Rolleiflex et son format carré, il expérimente des angles de prise de vue originaux. Grand adepte de l’échelle pour photographier en plongée, il choisit des perspectives insolites. Il innove avec de nouveaux effets, introduit un autre rapport aux sujets. L’exposition, qui mêle reportage sur le vif et sens de la poésie, rend bien compte de la qualité formelle et technique, mais surtout de sa vision particulière, entre réalisme et idéal. Derrière les apparences (élégance, ordre), il donne à voir la complexité et la richesse humaine.
Paris a constitué son terrain d’exploration privilégié (en 1983, le Musée Carnavalet acquiert près de 400 clichés). Il a beaucoup arpenté la capitale en quête de scènes pittoresques, posant un regard non dénué de tendresse sur les enfants, et plein de respect pour les petits métiers. Il s’intéressait aux gens. Portraits mondains, anonymes ou d’artistes, la figure humaine était au centre de ses préoccupations.
La nuit a beaucoup inspiré Roger Schall, le conduisant dans des troquets, dancings, cabarets. Elle lui a permis de saisir l’air du temps de manière sensible et de faire ressortir les contours si particuliers d’une ville faite de contrastes. Il releva les défis techniques avec brio. Les silhouettes monuments se découpent dans une organisation graphique éblouie par les halos de réverbères, de voitures.
Les contrastes, l’exposition les met formidablement en lumière. Rendu graphique, large palette de nuances, composition soignée… Il émane de chaque photo l’âme d’un Paris populaire. Roger Schall a également su capturer une France résistante qui embrasse la vie, ses jours comme ses nuits. Avec délicatesse, il a mis à nu des célébrités en montrant des aspects méconnus. Bref, il ne cesse de nous surprendre, comme sa vision du corps féminin, très moderne pour l’époque, et ses photos de paysage, magnifiques.
Assurément, Roger Schall est un photographe majeur. On reste donc sur notre faim. Jusqu’à présent, le public n’a eu l’opportunité d’explorer qu’une fraction minuscule de cette œuvre impressionnante. Déjà, une monographie est prévue fin 2024. Ce sera la première, avec un panorama digne de ce nom. Une souscription sera lancée prochainement. Mais quand une grande rétrospective dans une institution ?
D’ici là, il reste le week-end pour se rendre à Ombre & Lumière. Et peut-être acquérir des tirages argentiques, réalisés par le tireur Thomas Consani, fidèle compagnon, ou se procurer l’un des 300 exemplaires numérotés de l’édition collector du leporello de l’exposition, un très bel objet.
Sarah Meneghello
À découvrir sur Artistik Rezo :
Cécile Schall : J’ai fait tout ce chemin pour revenir à mon grand-père, par Aurélie Kahn
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